Les pièges de la transformation numérique

Culture d'entreprise

Que ce soit pour faire face à la pandémie, pallier la pénurie de main-d’œuvre, rejoindre un consommateur aux habitudes changeantes, ou simplement pour optimiser ses opérations, la transformation numérique est (encore) à l’ordre du jour pour une forte majorité des organisations. Des PPE aux multinationales, rares sont celles qui réussissent à y échapper.

Comme partenaires de nombreuses organisations, mon équipe et moi avons pour rôle d’accompagner ces dernières dans l’une ou l’autre des facettes de cette transformation. Et dans ce rôle, nous sommes à même d’observer un éventail de styles de gestion différents. En termes simples, il y a autant de définitions de la transformation numérique qu’il y a d’entreprises. Cela dit, nous notons que certains patterns se dessinent, et nous comprenons les pièges numériques dans lesquels les organisations tombent en réponse au sentiment d’urgence qui les habite.

J’ai pensé partager avec vous cinq pièges importants que nous observons régulièrement dans le cadre de nos mandats.

1 – Focus sur la technologie

La transformation organisationnelle est un concept que l’on observe dans les écrits managériaux depuis le début du XXe siècle. Nous y avons adjoint le mot « numérique » et tout à coup, la technologie est devenue le centre de l’attention. « De quelle technologie ai-je besoin pour mon site de commerce électronique? » est très souvent la première question soulevée par les gestionnaires, alors qu’on ne sait même pas encore ce qui nécessite d’être transformé, et encore moins si le commerce électronique est une priorité.

La technologie ne devrait même pas être considérée avant même d’avoir discuté des tactiques et du plan de mise en oeuvre. C’est un effet de votre stratégie en transformation, et non la cause. Comme gestionnaire, concentrez-vous sur ce que vous souhaitez transformer, des experts trouveront ensuite la technologie pour y répondre.

2 Pas assez stratégique

Les organisations ont tendance à traiter le numérique comme un simple moyen d’optimiser leurs processus en vigueur, et non comme une variable apte à transformer les modèles d’affaires et la vision de l’organisation. Pourtant, revoir un parcours client pour qu’il soit plus numérique, injecter les valeurs du 4.0 dans son usine ou développer un site de commerce électronique aura une incidence profonde sur votre organisation. Cela affectera autant les relations avec vos clients que les processus de création de votre produit ou service, et, par le fait même, l’ensemble des gens qui y travaillent. Si cette transformation numérique est bien exécutée, cela devrait même vous créer de nouvelles opportunités d’affaires!

En ne poussant pas la réflexion sur la transformation numérique assez loin, les organisations risquent d’optimiser des processus qui ne cadrent pas avec la vision, la mission et les modèles d’affaires futurs de l’organisation.

3 Leaders mal outillés

Si l’on fait abstraction des multinationales, la transformation numérique au sein des PME se retrouve sous la responsabilité de divers membres de l’équipe de direction : CTO, CMO, CFO, COO ou même le CEO directement. Et ça, c’est si un ou une gestionnaire de ce niveau s’en occupe ! Le signal que cela envoie : les dirigeants ne savent pas à qui donner ce dossier épineux, lequel est alors confié au leader qui semble le mieux outillé pour s’en charger. Pourtant, est-ce que vous hésitez à donner les finances à votre CFO? Ou le marketing au CMO? Probablement pas.

À première vue, on regardera naturellement vers le ou la CTO. Mais, aussi douée cette personne soit-elle, cette dernière a souvent une expertise plus technique, ce qui va créer le premier problème évoqué ci-haut dans cet article, un très (trop) grand focus sur la technologie. Ensuite, il y a le CMO, dont l’action se focalise surtout sur les relations avec les clients de l’organisation; un écart risque de se creuser entre les réalités opérationnelles et les attentes des clients.

Les organisations ont besoin d’accueillir à la table un leader qui a non seulement l’expertise, mais réellement le temps de s’y consacrer et qui pourra aider ses pairs à analyser, comprendre et structurer leurs besoins numériques. Certes, c’est une dépense importante à première vue, mais qui constitue un investissement fructueux à long terme.

4 Culture par projet

Si votre organisation existe depuis longtemps, vous avez probablement une foule de processus déjà en place qui participent à la croissance des revenus, de même qu’un BAIA assez prévisible d’une année à l’autre. Vous avez optimisé votre structure en fonction de cette équation : vos employés ont un rôle très précis à jouer et ils y consacrent grosso modo 40 heures par semaine. Il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre ni de temps pour mener à bien d’autres projets.

C’est à ces personnes que vous demanderez d’opérationnaliser votre transformation numérique. Souvent, sans investir davantage, sans les former et sans leur donner le temps nécessaire pour opérer cet important virage. Ainsi, non seulement elles se retrouvent en dehors de leur zone de confort, mais elles n’ont pas l’expertise ni les outils pour piloter et mener à bien ces nouveaux livrables. Et ce, dans un contexte où toutes ces opérations s’ajoutent à une semaine de travail déjà bien maximisée.

5 La formation

En lien avec ce dernier point, il est évident que la demande pour de l’expertise numérique a augmenté beaucoup plus rapidement que les capacités du milieu académique à livrer de telles ressources. L’impact est important : les organisations se battent entre elles pour embaucher un petit bassin de candidats, ce qui mène inévitablement à une surenchère, notamment sur le plan des salaires. Si une organisation attend d’avoir les nouvelles ressources pour démarrer sa transformation, il sera trop tard. Et, de toute façon, une nouvelle ressource numérique qui rentre dans un milieu traditionnel ne restera pas longtemps si le terrain n’a pas été soigneusement préparé au préalable. Ainsi, la formation de vos équipes en amont des projets de transformation numérique, un élément souvent lourdement sous-estimé, devient un élément essentiel de ladite transformation.

 

En conclusion, même si un sentiment d’urgence vous habite, ce n’est pas une raison pour foncer tête baissée dans des projets numériques. Ça peut sembler être la chose à faire pour répondre à la pression, mais c’est certainement ce qui va vous mener à commettre des erreurs importantes.

Prenez un pas de recul, soyez stratégique, engagez davantage vos équipes, trouvez les bonnes ressources, ne sous-estimez pas l’importance de la formation, et allouez le temps nécessaire pour que les choses soient bien faites.

Arnaud Montpetit
Vice-Président Stratégie