Vers une pénurie de CIO?

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« Il manque une courroie de transmission entre nos équipes innovantes et la haute direction. »

« Il n’y a personne pour vraiment structurer et crédibiliser nos processus d’innovation à l’interne.»

« La transformation de notre culture tombe vraiment entre deux chaises.»

Des énoncés comme ceux-ci, j’en entends de plus en plus fréquemment, surtout depuis que la pandémie a poussé un grand nombre d’organisations à vouloir mettre en place une culture d’innovation et de changement au sein de leurs équipes.

Lorsque ces points sont soulevés dans ces organisations, je constate rapidement que l’innovation est traitée comme n’importe quel autre processus ou encore, comme une ligne d’affaires, et est placée sous la gouverne d’un membre de l’équipe de direction, tel que le vice-président des technologies (CTO) ou des finances (CFO),  voire la PDG. Aussi bien intentionnée soit-elle, cette personne n’a, plus souvent qu’autrement, jamais réellement eu à gérer de processus d’innovation ou de transformation adaptés à notre ère auparavant dans sa carrière. Par conséquent, elle est mal outillée pour le rôle, ce qui peut rapidement porter préjudice à l’initiative. 

L’enjeu avec l’innovation, c’est qu’elle fait classe à part, elle ne peut être traitée comme n’importe quel processus opérationnel. Elle nécessite une approche de gestion différente, des méthodologies peu ou pas utilisées dans le reste de l’organisation et une équipe qui n’opère pas selon les mêmes règles. Elle nécessite aussi l’attention d’un gestionnaire qui, au-delà du savoir-faire, doit avoir des compétences de savoir-être, telles l’empathie, la tolérance au risque ainsi que la capacité à rester calme dans un contexte flou. Des éléments qui ne sont pas nécessairement valorisés dans le monde des affaires. 

Un nouveau rôle

Selon la firme McKinsey, aux États-Unis, et maintenant au Canada, on observe maintenant une tendance de plus en plus marquée : la création d’un siège autour de la haute table décisionnelle pour un Chief Innovation Officer (CIO) ou encore un Chief Design Officer (CDO). 

Le rôle de cette nouvelle fonction varie d’une organisation à l’autre, certes, mais il y a un point commun : sensibiliser le reste de la direction à l’importance des initiatives en innovation. Plus concrètement, ses grandes responsabilités peuvent ressembler à ceci :

  • Mener un laboratoire d’innovation;
  • Construire des plans de formation adaptés à la nouvelle réalité;
  • Cartographier les processus liés aux clients;
  • Diminuer l’écart entre le marketing (front-office) et opération (back-office);
  • Améliorer les processus de gestion entre les départements;
  • Tisser des liens avec de nouveaux partenaires innovants dans le but de développer de nouveaux services;
  • Et surtout, contaminer le reste de l’organisation avec de nouvelles approches de gestion.

Contrairement aux autres gestionnaires de haut niveau, qui travaillent habituellement à la verticale dans l’organisation (un CFO, gère la pratique de finance), la personne dans le rôle de CIO travaille à l’horizontal. Elle s’assure que les initiatives et bonnes pratiques d’innovation traversent les silos de ses collègues. 

 

Ma lecture personnelle de cette situation, simplement en observant à quelle fréquence je recommande la création d’un tel rôle : le CIO sera la personne la plus en demande de la prochaine décennie.

 

Ce n’est qu’une question de temps avec que les organisations s’ajustent à cette tendance, de la PME à la grande entreprise, en passant par les OBNL et les organismes paragouvernementaux. C’est normal, la capacité d’innover, et la culture qui l’accompagne, sont vus comme les nouveaux avantages concurrentiels.

Une pénurie à prévoir

Un problème important se dessine à l’horizon : nous ne formerons jamais assez de gestionnaires pour ce type de poste, et pour les postes qui découlent des besoins grandissants du CIO. L’École de technologie supérieure offre une maîtrise en gestion de l’innovation à ses ingénieurs, et les universités Laval et d’Ottawa complètent l’enseignement de ces gestionnaires avec un MBA, mais ce ne sera pas suffisant. Imaginons quelques instants que ces programmes génèrent 100 nouveaux experts tous les ans, et qu’en parallèle, les quelque 15 000 organisations québécoises de 50 employés et plus cherchent ce type d’expertise au même moment. Et cela n’inclut pas les OBNL, les organisations paragouvernementales et l’écosystème de startup

Il y aura une pénurie de talents.

Je précise que la pénurie sera pour le talent et non pour le poste, car, face à la demande, bon nombre de gestionnaires seront tentés de s’autoproclamer experts en innovation. Ces personnes pourront certainement convaincre une équipe de direction que les trois lettres à la fin de leur nom justifient le poste, mais ce sera insuffisant, voire dangereux. Cela pourrait potentiellement porter préjudice aux initiatives d’innovation et limiterait les organisations dans leur croissance. 

Pour s’y préparer

D’emblée, si vous lisez ces lignes et êtes membre d’une équipe exécutive, ma première recommandation serait de ne pas trop tarder avant de pourvoir ce poste. Cela vous donnera un avantage concurrentiel tangible dans les années à venir.

Si cela est impossible, prenez l’enjeu de l’autre côté : préparez votre organisation à mieux gérer sa culture d’innovation sans cet expert en poussant vos collègues et cadres vers des formations adéquates. Les mots clés : gestion de l’innovation, Design Thinking, Créativité, idéation stratégique, gestion empathique… fort à parier qu’en avançant dans cette direction, tôt ou tard, le besoin pour ce poste se fera sentir naturellement.

Au niveau de la formation continue, presque toutes les écoles de gestion ont des formations et programmes. Certaines, comme l’université de Sherbrooke, peuvent même offrir des programmes sur mesure. 

Finalement, n’hésitez pas à aller voir à l’externe et à trouver des partenaires qui pourront vous aider à convaincre vos collègues, ou du moins, amorcer la mise en place de processus d’innovation à l’interne!

Arnaud Montpetit