MVP : L'analogie de Ford

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Je suis fasciné par le nombre d’histoires d’horreur que j’entends concernant des gestionnaires et des entrepreneurs qui s’enfoncent dans des projets coûteux sous de fausses prémisses et souvent déconnectés de leur marché, sans méthodologie de test, sans outils de validation et sans garde-fou.

En tant que consultant dans la sphère numérique, ces histoires d’horreur m’interpellent et je cherche par tous les moyens à changer le narratif. Je propose d’être plus stratégique et je tente d’expliquer les vertus d’une approche itérative, comme le Design Thinking.

Au fil du temps, j’ai réalisé que c’est ironiquement la peur de l’échec qui poussent ces gestionnaires vers des échecs encore plus importants, ainsi que la conception erronée qu’une idée de génie produit un retour sur investissement rapide.

La capacité de dire : « j’ai validé, et je me suis trompé : mon idée initiale est erronée, changeons de direction. » devient un des atouts majeurs en gestion.  

J’ai d’ailleurs souvent frappé un mur lorsque j’essayais d’expliquer à mes clients et collègues pourquoi certains projets méritent d’être pensés et exécutés de façon itérative. Ainsi, j’ai développé une petite analogie qui m’est grandement utile. Je la partage avec vous dans l’espoir qu’elle vous soit tout autant profitable.

L’analogie d’Henri

Pour le bien de cette analogie, vous dirigez une firme d’ingénierie.

Un prospect vient vous voir, appelons-le Henri Ford. Henri dépose sur votre bureau le plan d’affaires pour un nouveau concept, l’automobile, et vous demande de la fabriquer pour lui. Il a un budget de 2M$. Son plan d’affaires a 7 composantes fonctionnelles, dont vous estimez la production à 5,5M$ :

  1. Un moteur (1 M$)
  2. Un volant (250 k$)
  3. Deux pédales (500 k$)
  4. Quatre roues (250 k$)
  5. Un banc en cuir véritable (500 k$)
  6. Une carrosserie en or (2 M$)
  7. Des vitres teintées (1 M$)

Henri est tellement convaincu de la valeur de son idée, qu’il pense pouvoir revenir sur son investissement au cours de la prochaine année. Ainsi, il est impératif pour lui de déterminer deux éléments clés avant de démarrer le projet :

  • Le prix de vente exact de son produit une fois sur le marché
  • Le plan de mise en marché complet avec les étapes précises

Il est catégorique : les gens fortunés, sa cible, veulent se déplacer dans une voiture avec un moteur, un volant, deux pédales et quatre roues. Cela dit, selon lui, pour faire de l’argent et réellement déloger ses compétiteurs, le vélo et le cheval, ce qui compte vraiment pour sa cible, c’est le banc en cuir véritable, la carrosserie en or et les vitres teintées. Il vous pousse à bâtir son projet au complet, dans une seule itération.

Contrairement à Henri, vous êtes vraiment sceptique. Vous savez que c’est un marché ultra compétitif, après tout, les chevaux sont là depuis la nuit des temps. Est-ce que les gens fortunés veulent vraiment une automobile? Est-ce bien conseiller Henri que de bâtir son produit au complet en une seule itération, ne sachant même pas si la prémisse fondamentale de son projet est fondée?

Trois options s’offrent à vous.

1. L’approche linéaire

Vous voyez là une opportunité d’affaires. Vous estimez, un petit doigt en l’air, que l’automobile va valoir 750 $ à la vente et que Henri va en vendre un million la première année. Ce qui a du sens pour vous puisqu’un cheval coûte 1000 $ et un vélo, 500 $, et qu’il s’en vend des millions. Henri est convaincu de son plan d’affaires et vous réussissez à le convaincre de faire son projet au complet, pour 5,5 M$. Votre équipe et vous développez le produit durant deux ans, il y a des dépassements de coûts, Henri finit par payer 6,5 M$.

Votre produit arrive sur le marché. Si c’est un succès, tout le monde est content, Henri devient millionnaire. Si le projet est un échec et que personne ne veut de l’automobile, Henri vient de perdre 6,5 M$ et il intente une poursuite contre vous pour l’avoir mal conseillé.

Dans ce scénario, Henri a été exposé à beaucoup trop de risques.

2. L’approche de l’exécutant

Pour vous, il est important d’amorcer le développement du produit rapidement, de respecter le budget d’Henri et de vous assurer qu’il va faire de l’argent dès l’an 1, tel que demandé, afin qu’il puisse vous payer pour la phase subséquente. Vous remarquez dans le plan d’affaires d’Henri qu’il accorde très peu d’importance aux fonctionnalités 1, 2, 3 et 4, parce que pour lui, c’est une évidence et ce n’est pas payant : les gens veulent une automobile ! Ce qui est payant pour lui, qui le distingue vraiment du cheval, son concurrent, c’est la sixième fonctionnalité, soit la carrosserie en or.

Ainsi, vous décidez de retirer les fonctionnalités 1, 2, 3 et 4, dans le but d’investir la totalité du budget d’Henri dans cette sixième fonctionnalité. Votre équipe travaille quatre mois sur une carrosserie en or, l’élément qui va lui permettre de faire de l’argent rapidement, ensuite vous pourrez développer les autres fonctionnalités.

Voilà que quatre mois plus tard, Henri met sur le marché une carrosserie en or, pas de moteur, pas de volant, pas de pédales et pas de roues. C’est vraiment une belle carrosserie, mais sa cible est incrédule : « Je croyais que le but de votre produit était de m’amener du point A au point B ? »

Non seulement Henri vient de gaspiller 2 M$ sur un produit dénaturé, mais en plus, il n’a même pas répondu à sa question fondamentale : les gens veulent-ils vraiment une automobile ?

Dans ce scénario, vous avez tenu pour acquis les prémisses erronées de Henri. Ainsi, il se retrouve avec un produit qui devait être son avantage concurrentiel mais qui n’a aucune valeur pour le client, car il ne répond aucunement à son enjeu de déplacement.

3. L’approche en Design Thinking / Lean Startup

L’idée d’Henri ne vous convainc pas et vous revenez toujours à votre question initiale : la clientèle cible veut-elle vraiment d’une voiture? Ainsi, dans un mandat stratégique, vous questionnez son plan d’affaires et proposez à Henri un MVP, Minimum Viable Product, avec les fonctionnalités 1 à 4. Et ce, avec moins que son budget prévu.

Vous avertissez Henri que le MVP ne lui permettra pas de faire un retour sur investissement à court terme et de déloger le cheval dans la première phase de développement, mais il pourra au moins valider très rapidement si l’automobile a de la place sur le marché. Si son produit « de base » fonctionne, il pourra investir avec certitude dans une phase subséquente pour rendre son produit plus attrayant. Il pourra même convaincre des investisseurs de se joindre à  lui dans l’aventure. Si son idée ne fonctionne pas, l’ erreur aura été coûteuse, certes, mais beaucoup moins que s’il avait gaspillé plusieurs millions pour amener l’idée au bout sans la valider au préalable. Il pourra retourner chez lui la tête tranquille pour travailler sur sa prochaine super nouvelle idée.

D’ailleurs, l’avantage de cette approche pour Henri est de pouvoir mettre rapidement son produit dans les mains de sa cible. Il pourra poser des questions telles que :  « Chère cible, aimerais-tu encore plus mon produit s’il était équipé d’une carrosserie en or et d’un banc en cuir ? ». Et, ce à quoi sa cible lui répondra : « Henri, pour moi une carrosserie noire ferait le travail, mais si tu avais de l’air conditionné, je paierais le gros prix pour ça ». Stupéfaction, voilà une idée à laquelle ni Henri, ni vous, n’aviez pensé ! Heureusement que ces tests ont été faits, la phase subséquente prendra une tout autre allure et le produit final répondra beaucoup mieux aux besoins du marché. Henri vous remercie pour votre judicieuse approche.

Kill Your Darling

Dans cette analogie d’Henri, il semble évident que la troisième approche est la meilleure. Dans la vraie vie, où les projets sont plus complexes, moins bien cadrés et pilotés par plusieurs parties prenantes, ce sont malheureusement les approches 1 et 2 qui priment encore aujourd’hui. Beaucoup de gestionnaires se lancent dans des projets avec des prémisses mal cadrées et aucune méthodologie pour les tester. Et, parfois leur intuition était bonne, souvent ils se cassent les dents.

Les spécialistes stipulent que c’est le fameux égo mal placé qui y est pour beaucoup. Cela pousse des gestionnaires à rejeter du revers de la main les données qui remettent en question l’idée ou l’approche préconisée.

Dans le livre Design A Better Business, les auteurs s’expriment ainsi : Kill your darling as quickly and cheaply as possible. En d’autres mots, vous devez trouver une façon peu coûteuse et rapide de démolir votre idée préconçue face à votre projet en vous adressant rapidement à votre cible.

Pour y arriver, une approche itérative, tel Lean Startup ou Design Thinking, est l’idéal. Non, elle est primordiale. Elle vous oblige à miser rapidement sur un MVP, un Minimum Viable Product, ou PMV en français, pour déterminer les éléments clés de votre produit que vous devez démontrer avant de continuer. Chaque itération amènera son lot d’apprentissages qui permettra de mieux cadrer la suite du projet. Dans cette optique, il est inutile de planifier votre projet trop longtemps d’avance. Un commentaire de votre cible pourrait vous conduire dans une toute autre direction.

Gardez en tête que le « V » dans MVP, pour viabilité, ne veut pas dire « commercial », « rentable » ou « profitable ». La viabilité dans ce contexte désigne le fait d’accéder rapidement à de l’information qui vous aidera dans votre prise de décision !

 


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Arnaud Montpetit
Vice-Président, Stratégie