Après le BOOM...

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Si, pour compenser l’annulation de votre voyage annuel et combattre la lassitude de la dernière année, vous avez décidé d’investir votre surplus d’argent dans de l’équipement de loisir et plein air, vous avez sans doute remarqué des ruptures de stock. En effet, bon nombre de Québécois ont fait comme vous et se sont rués vers les boutiques spécialisées, dans l’espoir de profiter des installations sportives à leur disposition en attendant un retour à la normale. Cette frénésie inattendue a pris de court bien des détaillants. À titre d’exemple, la vente de vélo a bondi de 68% aux États-Unis par rapport à la même période en 2019. Même BRP annonce une croissance sans précédent de près de 15% de son produit phare, le Sea-Doo, lors de l’été 2020.

Le Boom est bien réel : le début de la pandémie a forcé les fabricants à fermer leurs usines durant quelques semaines, affectant l’offre. De l’autre côté, la demande locale a explosé, menant ainsi à d’importantes ruptures d’inventaire.

Contre toute attente, certaines compagnies parlent d’une année record. En pleine pandémie.

Face à des étagères vides et à une clientèle insatisfaite, de nombreux détaillants et fabricants s’ajustent pour 2021 et 2022 en tentant de rétablir l’offre, remplissant leur carnet de commandes et mettant une pression sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Pour répondre aux attentes, ces derniers investissent pour augmenter leur capacité. Tout cela, bien entendu, en gardant une projection linéaire (et optimiste) de votre engouement soudain, comme consommateur, face à ces loisirs de plein air.

Ces fluctuations du marché laissent certains gestionnaires perplexes : est-ce une réelle montée de la demande qui nécessite d’augmenter de façon permanente notre capacité de production? Cette croissance va-t-elle se maintenir après la pandémie? Wall Street semble partager ce questionnement. En effet, plusieurs titres ont plutôt connu des baisses: celui du fabricant de vélos Giant, par exemple, a chuté de près de 10% au moment même où Pfizer annonçait son vaccin.

La fatigue Instagram et le marché de seconde main

Pour ma part, ces questions me laissent tout aussi perplexe et, face à ces incertitudes, j’avancerais très prudemment dans les prochaines semaines et mois. Cela dit, si j’étais à leur place, un autre phénomène encore plus pernicieux m’empêcherait de dormir la nuit : le nouveau marché intelligent du seconde main.

Prenons un jeune couple en exemple. Carburant aux belles photos en ski de haute route de leurs amis sur Instagram, le duo s’équipe en neuf lui aussi. Skis, bâtons, bottes, fixations, manteaux… Voilà qu’après une montée (et une photo pour son réseau), nos skieurs réalisent qu’ils n’aiment pas vraiment l’expérience et que ce sport n’est pas pour eux. La décision est prise : à la fin de la saison, ils mettront leurs nouveaux kits en vente. D’ailleurs, le fruit de la vente permettra de financer le prochain voyage, maintenant que la pandémie semble tirer à sa fin.

Phénomène que je me plais à appeler la « fatigue Instagram » : inspirée de l’instantanéité de la plateforme portant ce nom, une sorte de lassitude instantanée pour une nouvelle activité qui s’installe une fois la démonstration sociale faite et les « j’aime » obtenus.

Il va sans dire, le marché du seconde main n’est pas nouveau, Kijiji et LesPAC existent depuis un moment déjà, et il est connu des détaillants. La différence est qu’aujourd’hui, les canaux se sont multipliés et, surtout, ils se sont socialisés. En effet, il suffit d’un clic pour annoncer et vendre son matériel directement sur Instagram ou sur MarketPlace de Facebook. Au-delà du fait que la photo est souvent plus esthétique que celles qu’on voit sur d’autres plateformes de revente, le partage est activé plus rapidement, et dirigé par une série d’algorithmes permettant de relier plus facilement les vendeurs et leurs acheteurs. Cela permet à une personne de trouver beaucoup plus facilement le kit de ski de haute route qu’elle recherchait, tout en sachant qu’elle achète le bien d’une personne connue de son entourage, et non d’un étranger sur Internet. 

De cette façon, le marché du seconde main ajoute un puissant facteur d’achat qu’il n’avait pas auparavant : la confiance. Et il ne faut pas se leurrer, cette confiance entre amis peut très bien remplacer la confiance entre un conseiller spécialisé et son client.

Ainsi, en 2021 et 2022, une personne qui, auparavant, aurait hésité à acheter un kit neuf dans le marché du seconde main, considérera maintenant cette option, au grand dam des boutiques spécialisées.

Maintenant, amenons ce scénario à grande échelle : imaginons que quelques dizaines de milliers de sportifs au Québec réussissent à vendre leur matériel de plein air, quasiment neuf, en 2021 et 2022 à un nombre équivalent d’acheteurs potentiels. Dans des marchés d’une certaine maturité, qui suivent habituellement une croissance de quelques pour cent par an, un déséquilibre de la sorte peut avoir un effet dévastateur pour les fabricants et détaillants. Surtout ceux qui auront fait des investissements importants pour rétablir l’offre. Cette dernière se sera elle-même gonflée sur un marché de seconde main qu’ils peuvent difficilement évaluer. 

Nouveaux modèles d’affaires?

Si vous êtes un fabricant et que vous devez approvisionner des détaillants qui commandent massivement, 2021 et 2022 seront potentiellement deux très bonnes années. Le creux de vague suivra dans les années subséquentes. Un scénario prudent serait d’opérer comme si la demande restait stable entre une courbe de référence, disons 2017 à 2019, pour vous projeter entre 2020 et 2025. Des investissements irresponsables sur des projections linéaires en prenant 2020 et 2021 à titre de référence pourraient s’avérer particulièrement dommageables.

Si vous êtes un détaillant, vous devez vous questionner et user davantage de créativité : comment est-ce possible de s’investir davantage dans le marché de seconde main, voire de le contrôler, pour conserver un consommateur plutôt que ce dernier ne devienne un concurrent?

À ce niveau, trois modèles d’affaires, déjà bien présents dans l’industrie automobile ou de la téléphonie mobile, peuvent vous être utiles :

  • Louer plutôt qu’acheter
  • Achat rachat
  • Product as a Service

Tout comme je loue une voiture à un concessionnaire qui la reprendra pour la mettre lui-même sur le marché de seconde main, tout en saisissant l’occasion de me relouer un autre véhicule, ou comme Apple qui vient de racheter mon téléphone d’occasion pour m’en revendre un neuf, vous pourriez envisager, à terme, exercer un bien meilleur contrôle sur le marché de seconde main et fidéliser davantage votre clientèle.

 


Crédit photo: Unsplash

Arnaud Montpetit
Vice-Président, Stratégie